Pour
leur part, dans le nord-est de l’Espagne, les nationalistes catalans qui ne se
définissaient pas tous encore comme indépendantistes, avaient les yeux tournés
vers le Québec, un modèle inspirant.
La
blessure provoquée par la défaite lors du deuxième référendum a contribué à
démobiliser les Québécois qui avaient rêvé d’un pays. Les nouvelles générations
ouvertes sur le monde, rassurées d’évoluer dans un État moderne, leurs aînés
avaient trouvé un certain réconfort dans les réalisations du PQ, ont développé
des intérêts planétaires plus individualistes que collectifs.
Dans
ce nouveau contexte, le politique a repris le bâton du pèlerin en répétant le
modèle initial du jardinier pressé qui s’entête à forcer indûment la croissance
de ses plantations afin qu’elles se mettent à fleurir. Un modèle qui, jusqu’à
maintenant, n’a donné aucun résultat.
En
Catalogne, les initiateurs du mouvement indépendantiste ont choisi une tout
autre avenue : la mobilisation NON PARTISANE de la société civile. Après avoir
provoqué des échanges anonymes entre des intervenants aux idéologies politiques
divergentes, mais qui avaient en commun de créer la République de Catalogne et
les réunir pour leur faire découvrir de nombreux points de convergences,
l’Assemblea Nacional Catalana (ANC) a vu le jour en 2011. Une organisation liée
à aucune organisation politique, résolue à ne jamais se transformer en parti
politique, regroupant des milliers de membres avec pour but l'indépendance
politique de la Catalogne sous la forme d'un État de droit, démocratique et
social.
En
étroite collaboration avec une association indépendantiste vouée à la promotion
de la langue et de la culture catalane, Òmnium Cultural, l’ANC a
progressivement mobilisé la société civile village par village, ville par
ville, profitant de toutes les occasions pour nourrir et faire croître le
projet de pays appuyé par une pédagogie des avantages de s’affranchir. Jusqu’à
regrouper des millions de personnes dans des manifestations non partisanes,
pacifiques, festives forçant les partis politiques à mettre de côté
momentanément leurs idéologies sans se saborder ou se fusionner, mais en se
coalisant pour appuyer l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination :
le Partit Demòcrata Europeu Català (PDeCat) – libéral et indépendantiste –,
l’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) – indépendantiste de gauche défenseur
d'une république indépendante en Catalogne –
et la Candidatura d'Unitat Popular (CUP) – indépendantiste entre la
gauche et l’extrême gauche.
Un
contexte politique presque comparable à celui du Québec avec la CAQ
(nationaliste et, jusqu’aux dernières nouvelles, non indépendantiste,
regroupant des partisans de toutes allégeances), le PQ (indépendantiste) et QS
(difficile à dire puisque pour des raisons d’abord idéologiques, le PQ et, sur
la scène fédérale, le Bloc québécois, sont pour eux des ennemis à abattre).
Auquel s’ajoute une vacuité désolante de la mobilisation de la société civile
qui assiste béatement, dans le confort et l’indifférence, à l’autodestruction
de la mouvance politique souverainiste.
Bien
sûr, il existe au Québec une multitude de groupuscules, de groupes, de
regroupements, de mouvements… qu’on peut décliner à partir d’un dictionnaire de
synonymes, plus ou moins liés à un parti ou à une idéologie politique. Chacun
croit avoir en main la solution au problème. Tous ont échoué à ce jour dans
leurs actions égocentriques.
Il
me semble que l’heure est venue – « Ara és l'hora », un des slogans 2014 de
l’ANC – comme le chantait Félix, pour le regroupement des Forces vives du
Québec, la fondation d’une entité véritablement non partisane et n’ayant aucune
velléité de se transformer en parti politique, inspirée du modèle catalan. Avec
comme objectif de redéfinir et de promouvoir le projet de pays en fonction des
attentes de toutes les générations de Québécois. Une sorte d' « ANC »
québécoise qui fusionnerait toutes les initiatives éparses avec un but commun :
faire du Québec un pays, une république citoyenne, qui, au moment opportun,
serait en mesure de faire pression sur les politiciens de toute allégeance afin
de passer à l’action.
Le
cul-de-sac politique actuel me semble une occasion idéale pour un rapprochement
avec les dirigeants catalans de l’ANC et d’Òmnium Cultural pour adapter ce
modèle de mobilisation fructueux qui poursuit son action malgré l’obstruction
du gouvernement espagnol. Au Québec, en 2019, il est temps de sortir du cadre
politique inopérant et de trouver de nouvelles façons pour aborder la question
nationale en prenant comme assise la société civile.
Point
de vue publié dans la section Idées du journal Le Devoir de Montréal
Photo: Manu Fernandez Associated Press